LA SAGA DES CISSOU BOYS
Un club très fermé, mais à la grande ouverture d'esprit ? Une secte ? Un rassemblement hebdomadaire d'hurluberlus un rien marginaux cherchant à se défouler entre gens de bonne compagnie ? Ou bien, et c'est cela la réalité, cercle chaleureux de personnages qu'unit la passion du rugby, le goût de l'authentique, la nostalgie du temps qui passe, le souci de maintenir, avec la simplicité qui va de soi, certaines valeurs hâtivement et imprudemment cataloguées désuètes ?
Un peu de tout cela sans doute.
Les Cissou Boys ne sont ni une association d'anciens combattants, ni de mélancoliques has been. La plupart sont dans la force de l'âge. Bien ancrés dans la vie. Mais, magie du rugby, du vrai, celui que l'on joue, ou que l'on a joué, sans forcément y être tout à fait transcendantal, ni intégralement toquard, à quelques notables exceptions près. Ils partagent avant tout les vertus de rudesse, de solidarité, de bonne humeur joviale, et d'esprit d'équipe que ce sport exige. Et qu'il sait si bien rendre.
L'époque, nous dit-on jusqu'à satiété, est à la communication. On l'évoque à propos de tout et de rien. Et pourtant, jamais sans doute, foules n'ont été aussi solitaires, aussi murées en elles-mêmes, aussi paumées en un mot, qu'aujourd'hui. On n'en dira pas plus. Les Cissous eux, fidèles à leur jeunesse, ont choisi une autre planète. Celle dont le rugby n'aurait jamais du s'écarter. Celle de ces après-midi de combat, prolongés par ces troisièmes mi-temps désormais honnies des technocrates à la triste figure. Celle où la joie d'être ensemble, de refaire la partie, le jeu, et en passant, le monde, vaut tous les plaisirs de la terre.
Le rugby est plus qu'un jeu. Un état d'esprit. Une façon d'être. Un alcool rare, disait Kleber Haedens, à savourer entre soi. Une école de vie, aussi. Entre les avants, obligatoirement rudes, conviés au sacrifice, et si possible à l'anonymat- encore que... les demis, de préférence astucieux, coquins et imaginatifs, les trois quarts, impétueux et conquérants, et un arrière flegmatique mais vigilant, vif, et surtout bien placé, c'est l'idéal de la société humaine qui se dessine sur le terrain. Avec, si possible, le zeste d'humour, de recul, de distance et d'intelligence qui fait prendre la vie parfois au tragique. Mais jamais au sérieux.
Les caprices de bon vieux ballon ovale rebondissent tous les mardis soirs chez les Cissous. C'est de nos jours, un bonheur qui se fait rare.
On l'apprécie à sa valeur.
Ecrit en 2001 par Paul Katz (Ex rédacteur en chef de Midi Libre)